mardi 24 novembre 2015

La littératures des Caraïbes: terre natale, questions identitaires

"L’estropié de la guerre du Pacifique dit à son frère: "accommode toi de ta couleur comme moi de mon moignon; nous sommes tous les deux des accidentés". Pourtant, de tout mon être, je refuse cette amputation. Je me sens une âme aussi vaste que le monde, véritablement une âme profonde comme la plus profonde des rivières, ma poitrine a une puissance d'expansion infinie. Je suis don et l'on me conseille l'humilité de l'infirme... Hier, en ouvrant les yeux sur le monde, je vis le ciel de part en part se révulser. Je voulus me lever, mais le silence éviscéré reflua vers moi, ses ailes paralysées. Irresponsable, à cheval entre le néant et l'Infini, je me mis à pleurer." - Peau noire, masques blancs -Frantz Fanon

Le Carnaval en Martinique, évènement culturel populaire
Le concept d'identité est au centre de la littérature caribéenne française. Il est aussi au centre de mes préoccupations, étant moi-même métisse et originaire de la Martinique. La couleur de peau, la texture des cheveux. Tant de sujets qui semblent banales pour beaucoup de gens mais qui sont au coeur des préoccupations antillaises. Je suis plus blanche que mon voisin, je cache mon accent et mon créole, je me lisse les cheveux. La crise identitaire est forte dans la Caraïbe française et touche beaucoup la population. Qui suis-je ? Un africain, ancien esclave, déporté de ma terre d'origine, colonisé ? Un français, avec un bagage historique et culturel important ? La question est complexe. L'antillais/l'antillaise, à la fois français et homme/femme de couleur, n'est ni l'un ni l'autre. Identité déchirée, double langage, l'antillais n'est en soi, ni noir ni blanc. 

Les questionnements abordés par Frantz Fanon, dans son essai Peau noire, masques blancs, touchent l'ensemble des antillais, qu'ils soient foncés ou clairs de peau. Cette double identité qui touche les départements d'outre-mer est au centre de la culture des îles françaises. 

La littérature caribéenne joue beaucoup sur l'oralité, sur la dualité entre le français et le créole, sur les questions identitaires mais aussi sur le passé coloniale et les répercussions de l'esclavagisme. C'est une littérature fascinante, qui évoque des sujets à la fois liés à l'histoire mais qui sont encore d'actualité aujourd'hui. L'impact du colonialisme sur les Antilles, bien que différent de celui de l'Afrique, est toujours palpable et au coeur de la culture. À la fois très français et très différents du reste des français, les martiniquais font souvent face à une crise identitaire importante à un certain moment de leur vie. Cette crise survient généralement lorsqu'il quitte son île pour aller étudier ou travailler en métropole. Ou encore, lorsqu'il rentre et se rend compte qu'il n'est plus le même et que la métropole l'a changé. Le martiniquais qui quitte son île n'est accepté ni en métropole, ni dans sa terre natale. À la fois traître et faux français, il ne sait pas à quel pays il appartient. C'est le cas de tous les exilés, mais pour le martiniquais qui naît français, cette crise est à la fois triste et absurde. Il est français mais pas tout à fait. Il est martiniquais mais pas tout à fait.


"- Bien. Maintenant, Papa, tu vas parler en français pour moi. Je dois marquer ce que tu vas me dire, nous sommes entrés dans une enquête criminelle, donc pas de charabia de nègre noir mais du français mathématique... Comment on t'appelle, han?
- Onho.
- Ca, c'est ton nom des mornes. Je te demande ton nom de la mairie, de la Sécurité sociale...
- Bateau Français, articula Congo comme s'il mâchait un lambi chaud.
- Raconte-moi en français ce qui est arrivé à Solibo là...
- Han pa jan halé fwansé.
- Tu ne sais pas parler français? Tu n'es jamais allé à l'école? Donc tu ne sais même pas si Henri IV a dit "Poule au pot" ou "Viande-cochon-riz-pois rouge"?..." - Solibo le Magnifique - Patrick Chamoiseau

Dans son roman, Solibo le Magnifique, Patrick Chamoiseau évoque la question de l'oralité et la dualité entre le français et le créole. Le statut de l'antillais en fonction de ses capacités linguistiques est aussi expliqué par Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. Je vous conseille fortement ces deux livres (le premier étant un roman et l'autre un essai), dans la mesure où ils décrivent parfaitement ce qu'on peut ressentir en tant qu'antillais exilé. En tant qu'antillais qui revient sur son île. Le réalisateur martiniquais Lucien Jean Baptiste parle aussi de l'identité de l'antillais en métropole et sur son île dans ces deux films, la Première étoile et 30 degrés couleurs. Ci-dessous la bande-annonce de 30 degrés couleurs. 




jeudi 19 novembre 2015

Northanger Abbey - gothique et sentimentalisme


“It was a source of constant disappointment to Catherine Morland that her life did not more closely resemble her books. Or rather, that the books in which she found its likeness were so unexciting.” - Northanger Abbey - Val McDermid 

Ayant toujours été une grande fan des romans de Jane Austen, j'ai quelque peu sauté sur l'adaptation de Northanger Abbey par Val McDermid. Je l'ai aussi dévoré en peu de temps et satisfaite de mon expérience et de l'adaptation j'ai décidé d'en parler aujourd'hui. 

En effet, Jane Austen est une écrivaine anglaise du XIXème, très connue pour ses romans sentimentaux, notamment Pride and Prejudice, roman qui a été adapté et réadapté dans la littérature comme dans le cinéma. J'ai beaucoup d'affection pour ce livre, mais vous en parler dans cet article serait redondant et peu pertinent. Northanger Abbey, au contraire, est un roman de Jane Austen qui est relativement moins connu et j'ai surtout l'intention de parler de l'adaptation de ce roman par Val McDermid. 


C'est un roman très intéressant, car il est le premier roman de Jane Austen à avoir été publié. Il parle des fantasies de Catherine Morland, une jeune femme fascinée par les romans gothiques, les châteaux ensorcelés et les histoires de fantômes. Celle-ci va séjourner à Northanger Abbey, une vieille abbaye fascinante qui semble renfermer des secrets excitants. Catherine s'attache à Henry et Eleanor Tilney, les enfants du propriétaire du château et finit par tomber amoureuse de Henry. Dans la version de Val McDermid, l'action se déroule au XXIème siècle et Cat Morland est une jeune écossaise qui n'est jamais sortie de son village. En voyage à Edimbourg pour la première fois durant la saison des festivals, Cat va rencontrer la famille Tilney et séjourner dans leur château. Les deux romans évoquent le passage de l'adolescence à l'âge adulte et le parcours initiatique du personnage, qui apprend de ses erreurs et ses fausses idées. Jeune fille à l'imagination débordante, Cat Morland veut découvrir les secrets que renferment Northanger Abbey et la famille Tilney. 

Cette adaptation m'a beaucoup plu, car même si Jane Austen a écrit ce roman au XIXème siècle, les thématiques évoquées sont toujours d'actualité. En effet, le personnage de Cat (ou Catherine) Morland est très intéressant, dans la mesure où il représente la naïveté et l'imagination débordante des jeunes femmes qui aiment les histoires. En tant que dévoreuse d'histoire, je me suis retrouvée dans le personnage de Cat Morland et dans ses réactions. Une grande lectrice, si par hasard confrontée à la réalité de vivre dans un vieux château ou de visiter des ruines, aura sans doute différentes théories quant à la particularité du lieu, ou à la présence de créatures surnaturelles. Là où n'importe qui ne verra que des pierres, la grande lectrice à l'imagination débordante, pensera à des pierres enchantées, ayant le pouvoir de nous faire voyager dans le temps. Tout est une question de perspective dans ce roman de Val McDermit. Elle tourne en dérision les idioties de Cat, sa naïveté et son innocence. C'est un roman cynique et plein d'esprit, qui parle des erreurs que l'on peut commettre à l'adolescence. En somme, c'est un bon roman d'apprentissage et une excellente adaptation du roman initial de Jane Austen. Je vous le conseille fortement, surtout si vous êtes déjà adeptes du monde d'Austen. 

“It is only a novel... or, in short, only some work in which the greatest powers of the mind are displayed, in which the most thorough knowledge of human nature, the happiest delineation of its varieties, the liveliest effusions of wit and humour, are conveyed to the world in the best-chosen language” Northanger Abbey - Jane Austen 


En parlant d'horreur et de gothique, jetez un coup d'oeil au trailer de Pride and Prejudice and Zombies, l'adaptation au cinéma du livre culte adapté de Pride and Prejudice ! Après tout, quoi de mieux qu'un mix de zombies et de Jane Austen ! 



vendredi 13 novembre 2015

Devdas - tragédie réaliste de la littérature indienne


Devdas et Parvati
"Je n'ai aucune idée de ce que Parvati est devenue maintenant à la suite de tant d'années. Je ne cherche pas à le savoir non plus. Mais c'est pour Devdas que j'éprouve un profond chagrin. Après avoir lu l'histoire tragique de sa vie, vous éprouverez sans doute le même sentiment que moi. Néanmoins si jamais vous rencontrez un malheureux, un débauché et un pécheur comme Devdas, alors priez pour son âme. Priez pour que, quoi qu'il advienne, personne ne meure de la même façon pitoyable que Devdas. La mort n'épargne personne. Mais qu'à cette dernière heure, le front du mort reçoive le toucher de doigts affectueux, que la flamme de sa vie s'éteigne sous le regard d'un visage rempli d'affection et de compassion, qu'il voit au moins une larme dans les yeux d'un être humain. Ce serait pour lui un bonheur suffisant au moment de son départ pour l'autre monde." - Devdas - Sarat Chandra Chatterjee. 

La semaine dernière, j'ai parlé de tragédie au sens large. Aujourd'hui, je continue sur cette lancée en introduisant un de mes romans préférés (et son adaptation cinématographique), Devdas de Sarat Chandra Chatterjee, un classique de la littérature indienne, ou plus précisément, de la littérature bengali. En effet, j'aime beaucoup la littérature asiatique en général, et Devdas fait parti de mes favoris. Parfois, je regrette de ne pas pouvoir parler un nombre infini de langues, car je suis sûre que le texte perd beaucoup de sens lorsqu'il est traduit en français. J'ai tout de même l'avantage de m'intéresser à la culture indienne en général et ses dérivés (bangali, gujarati, punjabi. tamil, et bien d'autres) et ce, depuis une dizaine d'années. Le premier film indien que j'ai visionné est l'adaptation cinématographique de Devdas par Sanjay Leela Banshali, et reste à ce jour, mon film indien favori.

Devdas et Chandramukhi 

Devdas et Paro (Parvati) sont voisins et amis d'enfance. Lorsque Devdas revient de Londres, après une dizaine d'années d'études dans le but de devenir avocat, il rentre dans son village et tombe amoureux de Paro. Étant de castes différentes, les parents de Devdas s'opposent à leur union et Parvati est mariée à un riche veuf. Désespéré, Devdas sombre dans l'alcool et la débauche, et rencontre Chandramukhi, une célèbre courtisane. Celle-ci va tenter de l'aider, malgré le fait que Devdas la rejette et la méprise pour sa condition.

Devdas et Parvati
Le contexte historique de Devdas se situe dans l'Inde des années 1900. Le système des castes est très présent à cette époque et les mariages entre castes sont presque impossible. La tragédie de Devdas et Parvati est une réalité de la culture indienne, que l'on retrouve encore aujourd'hui. Devdas m'a fait réfléchir sur les différences culturelles. Pour la première fois, je me plongeais dans un monde, complètement à l'opposé de ma culture et de mes valeurs. Le choc a été positif et m'a donné l'envie de m'intéresser davantage aux coutumes de l'Inde. Depuis, je suis fascinée par le cinéma bollywood et la littérature indienne, ainsi que par son histoire et sa culture.

La version cinématographique de Devdas est un vrai chef d'oeuvre. Les couleurs, les décors, les costumes, les acteurs, tout est magnifique et parfaitement mis en scène. Si vous n'avez pas le courage de lire le livre, je vous conseille fortement de visionner le film, un classique du cinéma bollywood, dont les trois personnages principaux sont joués par trois des plus grands acteurs de Bollywood.

Je termine cet article avec une scène de Devdas, qui représente très bien l'ambiance et le style visuel du réalisateur, ainsi que le style général de Bollywood. Le jeu est exagéré et les émotions se concentrent sur les expressions du visage, ainsi que sur des gestes choréographiés. Ici, Devdas et Parvati sont comparés aux dieux hindous Krishna et son amante Radha. La scène les personnifie en dieux de l'amour et de la passion, leur donnant une aura presque mythologique. Devdas et Parvati sortent tout droit d'un conte de fée, ils représentent une légende indienne aussi puissante que celle de Roméo et Juliette pour les occidentaux.


À la semaine prochaine pour de nouvelles aventures littéraires !


mercredi 4 novembre 2015

Retour au Classique !

"Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux. 
Mes crimes désormais ont comblé la mesure. 
Je respire à la fois l'inceste et l'imposture. 
Mes homicides mains promptes à me venger, 
Dans le sang innocent brûlent de se plonger." 

Depuis les débuts de ce blog, j'ai voulu me concentrer sur des ouvrages relativement récents, tout en faisant des liens avec des films, d'autres livres et des notions littéraires. Aujourd'hui, on retourne aux racines avec la tragédie classique. 

Que ce soit en littérature ou en cinéma, les grands penseurs et narrateurs se sont souvent basés sur la tragédie classique pour construire leurs histoires. Encore aujourd'hui, on retrouve la fonction cathartique de la tragédie au cinéma, dans le théâtre et en littérature. Et même si à l'époque moderne, la manière classique de raconter les histoires est de plus en plus délaissée, on la retrouve à la base de tous les grands classiques et de leurs adaptations. L'idée même de tragédie a été étudiée, théorisée, utilisée et réutilisée à maintes reprises. Dans sa version d'Antigone, Anouilh lance une réflexion sur la tragédie tout au long de la pièce. 

"C'est propre, la tragédie. C'est reposant, c'est sûr... (...) Dans la tragédie on est tranquille. D'abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution. Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir"
- Antigone - Anouilh

Une introduction, un noeud, un dénouement. Les personnages de la tragédie classique sont confrontés à une destinée à laquelle il leur est impossible d'échapper. Dès le début, on sait déjà que les personnages sont condamnés à vivre cette tragédie et qu'ils ne pourront s'en détacher. Leur destinée est divine, rien ne pourra arrêter l'engrenage tragique. Phèdre est une pièce de théâtre qui a été un tournant dans mon éducation littéraire. La plume de Racine est magique et transporte dans un univers extraordinaire. J'ai toujours beaucoup admiré le travail derrière les pièces de théâtre de l'époque classique, que ce soit celles de Molière, Corneille, Racine et autres. Les contraintes qui s'appliquaient à l'époque, comme l'écriture en alexandrins, sont admirables et démontrent la richesse de la langue française. 

Je vous donne la liste de mes pièces de théâtre tragique préférées (toutes époques confondues):
Benedict Cumberbatch as Hamlet (London 2015)

- Phèdre, Racine
- Andromaque, Racine
- Bérénice, Racine 
- Horace, Corneille
- Le Cid, Corneille 
- Hamlet, Shakespeare
- MacBeth, Shakespeare 
- Othello, Shakespeare 
- Roméo et Juliette, Shakespeare 
- Antigone, Anouilh 
- La Machine infernale, Jean Cocteau 
- La tragédie du roi Christophe, Aimé Césaire 

Je vous conseille vivement ces incontournables littéraires si vous êtes intéressés par la tragédie. Je termine cet article avec une citation de Hamlet, ma tragédie shakespearienne favorite. 

"To die, to sleep - 
To sleep, perchance to dream - ay there's the rub,
For in this sleep of death what dreams may come..." 
- Hamlet - William Shakespeare 


Je vous conseille aussi le nouveau film de Guillermo Del Toro, Crimson Peak, qui reprend les règles et le visuel du film d'horreur gothique. Un film parfait pour apprécier la tragédie au cinéma !